« Il fallait du courage et de la détermination pour vivre et survivre au fil des saisons et surtout, ne pas douter de ses capacités. »
La femme et la colonisation
La vie quotidienne des femmes qui ont colonisé les Hautes-Laurentides est difficilement concevable aujourd’hui; les efforts déployés, les privations endurées, le travail accompli par ces pionnières semble en effet presque surhumain lorsqu’on les compare à la vie douillette et au confort matériel de notre époque. Même si sous certains aspects, leur réalité s’apparente à celle des Québécoises d’autres régions – par exemple l’exercice des diverses tâches ménagères de la mère de famille -, le fait qu’elles aient vécu sur un territoire éloigné et isolé donne un caractère particulier à leur existence. La vie dans la colonie, c’est-à-dire avant que le territoire ne soit organisé en villages et en paroisses, est naturellement plus rude que la vie d’habitant dans les paroisses agricoles prospères de la vallée du Saint-Laurent. Il faut une bonne somme de courage pour suivre son mari afin d’aller bâtir une ferme au cœur de la forêt, à partir de rien, quand ni chemins, ni médecin ni prêtre ne s’y trouvent encore. Le curé Labelle affirme que la femme est la base de la colonisation, « par le nombre d’enfants qu’elle donne à la patrie ». Toutefois, dans la réalité, le rôle de la femme dans la colonisation de la région est beaucoup plus important, plus diversifié et plus complexe, et ne peut se résumer à sa fonction de génitrice.
La première difficulté avec laquelle doit composer la femme colonisatrice est l’absence des commodités essentielles, du moins lors des premiers temps de la colonie. Les premières familles de colons installées sur le territoire habitent d’abord une cabane en bois rond construite à la hâte avec des billots coupés sur leur lot, semblable aux camps de bûcherons. Souvent même, n’ayant pas de poêle les premiers jours, la femme cuisine sur le feu comme le font les Amérindiens. Puis, une maison en pièce-sur-pièce finit par remplacer l’habitation primitive. On s’approvisionne en eau à la source ou dans un puits situés près de la maison. Le climat constitue une autre difficulté : les hivers sont longs et rudes, et durant le printemps et l’été, les moustiques et les mouches noires, que l’on tente d’éloigner avec de la fumée, dévorent hommes et bêtes.
La famille coloniale. Assis de gauche à droite : Joseph Roy et Rolland Poulin; debout de gauche à droite : Marie Perron, Victoria Lefebvre, Marie-Louise Audette, Aurélie Poulin. La dernière personne n’est pas identifiée mais on sait que c’est une maîtresse d’école. P135 Fonds Émilienne B. Constantineau.
Toussaint Larocque et Aglaé Narbonne ainsi que cinq de leurs enfants se sont installés rang 8, canton Robertson, près de St-Jean-sur-le-Lac. On trouve leurs noms dans le recensement du curé Desjardins de 1898. Collection Gilles Guénette de la SHGHL.
Première habitation de Solime Alix et Adolphe Bail vers 1887-1888, au sud de la rue du Portage, près de la rivière. Collection Jacques Matte de la SHGHL.
Les tâches qui incombent à la femme sont très diverses. En plus de s’occuper des enfants, de soigner les animaux, de cuisiner « l’ordinaire » de la famille et d’entretenir le potager, l’épouse de colon aide ponctuellement son mari dans les travaux agricoles. Elle collabore ainsi aux labours, à la coupe du foin, aux récoltes, etc. Elle fend du bois, fabrique le beurre et le savon, cueille les petits fruits avec les enfants, fait des confitures et des conserves pour l’hiver, tond les moutons, file, tisse et tricote leur laine pour en confectionner des vêtements. Durant l’hiver, le mari et les fils aînés partent travailler dans les chantiers forestiers, souvent pour plusieurs mois. La mère de famille se retrouve ainsi seule, parfois même enceinte, pour tout accomplir dans la maison et sur la ferme.
La mère est aussi le docteur de la famille. Elle soigne son monde à l’aide de remèdes hérités de ses ancêtres et des Amérindiens : décoctions, tisanes, sirops, cataplasmes, etc. Ce sont également les femmes qui accompagnent les mourants et qui font la toilette des morts. Plusieurs se font également sages-femmes pour aider les autres femmes de colons à mettre au monde leurs enfants, car les médecins sont rares. Quelques jours à peine après l’accouchement, la mère reprend son travail quotidien, son bébé couché dans un berceau ou un carrosse près d’elle. Les filles aînées aident leur mère à s’occuper des plus petits et l’assistent dans la plupart de ses tâches. Enfin, la mère de famille est celle qui transmet la foi et s’occupe de l’instruction religieuse de ses enfants; elle initie la prière quotidienne en famille et apprend les bases du catéchisme à sa progéniture.
C’est le temps de la moisson. Wilfrid Jolicoeur et son fils André sont près du râteau que traînent des chevaux conduits par Mme Eugénie Labelle (épouse de Wilfrid Jolicoeur) en 1928. Collection de la SHGHL.
La récolte des foins. Non mécanisés, les foins se faisaient avec l’aide de toute la famille. P132 Collection Caisse populaire de Ferme-Neuve.
De gauche à droite : Rose-Alba Larocque, Israël Carrière et son épouse Rose Larocque devant leur maison dans un champ de blé. P121 Fonds 75e de Val-Barrette.
Outre les épouses de colons et mères de famille, des femmes de vocation différente ont influencé le développement de la région à leur manière. Le milieu de l’enseignement, notamment, en comprend plusieurs. Les institutrices d’écoles de rang, qui ont donné les bases de l’instruction aux enfants de sept à seize ans avec des ressources minimales, ont elles aussi accompli un travail ardu. Leurs conditions de vie étaient souvent difficiles : salaire insuffisant, hébergement inconfortable, comportement surveillé par tous les paroissiens, élèves souvent absents, matériel désuet, etc. Des congrégations religieuses, comme les sœurs de Ste-Croix à Mont-Laurier et à Nominingue, ont aussi œuvré dans l’enseignement.
Sans doute, de nombreuses colonisatrices de la région ont eu une vie digne d’intérêt et d’admiration; l’histoire et les péripéties de plusieurs d’entre elles mériteraient d’être racontées aux générations d’aujourd’hui. Toutefois, la plupart des femmes de jadis cultivaient la modestie et l’humilité; elles vivaient et travaillaient dans l’ombre. De précieux témoignages, des photographies et le travail d’historiens régionaux ont cependant consigné la mémoire de quelques-unes d’entre elles.
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Ce texte est tiré d’une fiche sur le patrimoine ethnologique, « La femme colonisatrice » réalisée par la MRC d’Antoine-Labelle.
Quelques objets du quotidien
La première au Rapide-de-l’Orignal
Les premières femmes que l’on peut véritablement appeler « colonisatrices » sont les pionnières, celles qui sont arrivées avec leur mari et souvent de jeunes enfants dans un territoire vierge, « en bois debout », alors que ni village ni paroisse ne structurent encore les lieux. À Mont-Laurier, la première femme à s’établir dans la colonie naissante est Azilda Cloutier. Elle arrive avec son mari Zéphir Lafleur à l’hiver 1886, en traîneau à cheval, par les rudimentaires chemins de chantiers; elle est alors âgée de 23 ans et est enceinte d’un premier enfant.
Azilda Cloutier. Collection de la SHGHL.
Récit d’une épouse de colon
Pour se faire une idée des conditions de vie pénibles des premières familles de colons, il existe un témoignage pour le moins impressionnant d’une épouse de colon, Albina Collin ou Mme Alphonse Rocheleau (précisons qu’il était d’usage, à l’époque, d’appeler les femmes par le nom et même le prénom de leur mari). Celle-ci a consigné par écrit en 1916 le récit de son arrivée à Sainte-Anne-du-Lac, accompagnée de son mari et de leurs cinq enfants (dont un bébé). Débarqués en pleine nuit sur leur lot, « au travers des corps morts et des branches », n’ayant pas même une tente pour s’abriter, les Rocheleau ont dû vivre en plein-air jusqu’à la construction de leur petit camp en bois rond.